De nos jours, les appels vidéo sont si courants que nous pouvons vite nous en lasser. Cela dit, il n’y a pas si longtemps, l’idée de voir la personne qui nous appelle relevait plutôt de la science-fiction – alors même que des ingénieurs dans le monde réel s’efforçaient de faire des visiophones une réalité.
Peu après qu’Alexander Graham Bell ait inventé le téléphone en 1875, les auteurs de science-fiction ont commencé à populariser l’idée du visiophone, une sorte de téléphone muni d’un téléviseur. Des images d’une invention semblable sont apparues dans des magazines tels que Punch, dans une illustration de George du Maurier, et dans des romans de science-fiction comme Le Vingtième siècle. La vie électrique.
En fait, l’idée qu’un inventeur célèbre comme Bell ou Thomas Edison ait inventé un visiophone a été souvent évoquée à la fin du dix-neuvième siècle. Ce canular a surtout été propagé par un escroc tentant d’amasser des fonds pour des compagnies de visiophone; Bell lui-même a démenti cette rumeur en soutenant que le visiophone n’était qu’un conte de fées.
Il est toutefois intéressant de noter que Bell croyait que le visiophone pourrait être possible un jour, ce qu’il présentait comme « voir par l’électricité ».
Le premier visiophone fonctionnel a été créé par Bell Labs dans les années 1920. Il diffusait 18 images par seconde et son fonctionnement nécessitait une salle pleine d’équipement. En 1927, Bell Labs a fait une démonstration technologique en demandant à Herbert Hoover, à Washington DC, de s’adresser à un auditoire à New York. L’audio était bidirectionnel, mais la vidéo n’était projetée que de Washington à New York.
Dans les années 1930, les Allemands ont bâti un réseau fonctionnel pour le visiophone. Vous deviez vous rendre à un bureau de poste où, pour un prix modique d’environ le quinzième de votre salaire hebdomadaire, vous pouviez faire un appel de trois minutes dans une cabine prévue à cet effet. Le réseau était limité aux grandes villes, et la vidéo comportait 180 lignes à 25 images par seconde, ce qui était amplement suffisant pour profiter de la durée de l’appel, montre en main. À cette époque, une telle réussite était des plus renversantes et a fait l’objet de propagande. Quoi qu’il en soit, le réseau était trop coûteux à exploiter et n’a pas fait long feu.
Bell Labs n’a jamais abandonné l’idée du visiophone et c’est à l’Expo universelle de 1964 que l’entreprise a dévoilé le téléphone à image. Les invités pouvaient s’installer dans une cabine pour un appel transmis à une cabine semblable à Disney World. Toutefois, comme un appel de quinze minutes équivalait à près de 600 $, le téléphone à image n’a jamais été lancé sur le marché.
Dans les années 1960, le visiophone était un appareil bien établi dans la culture populaire. Il a fait une célèbre apparition dans le film 2001, l’odyssée de l’espace réalisé par Stanley Kubrick, où un personnage fait un appel vidéo à sa fille (pour le prix de 1,70 $).
Au même moment, le visiophone était un élément du décor dans la série d’animation Les Jetson. Samsonite y faisait la promotion d’un téléphone portable muni d’un écran dans une mallette – une invention qui ne semble jamais avoir vu le jour dans la réalité. Star Trek n’aurait jamais été possible sans le grand écran de contrôle qui se convertissait en visiophone. Allez dire à un trekkie que le film de 1982, La Colère de Khan, n’est rien de plus qu’un long appel Zoom, il pourrait en exploser de rage.
Bell Labs n’a jamais renoncé à l’idée d’un visiophone grand public. Après avoir dépensé plus de 500 millions de dollars, l’entreprise a lancé Mod II. En 1973, peu après son entrée sur le marché, il ne comptait que 100 clients à la grandeur des États-Unis, sans doute parce qu’il coûtait 169 $ par mois (l’équivalent aujourd’hui d’un bon millier de dollars), nombre ayant chuté à un maigre neuf clients en 1977.
Possiblement en raison du perpétuel écart entre l’omniprésence des visiophones dans la science-fiction et le coût faramineux d’un tel appareil dans la vraie vie, les visiophones sont quelque peu devenus l’objet de risée. En fait, en 2000, le New York Times a publié un article sur les visiophones intitulé Cautionary Tale; The Perpetual Next Big Thing, ce que l’on pourrait traduire par « Histoire sans fin : la perpétuelle grande nouveauté de demain ». Pendant des décennies, les visiophones ont été présentés comme la prochaine invention à devoir voir le jour. Il va sans dire que les gens en sont venus à être blasés et sceptiques.
On ne peut s’empêcher de constater que les produits qui ont fait des appels vidéo une réalité ne sont pas des visiophones pur et dur. Au lieu d’utiliser un visiophone pratique et peu coûteux de Bell Labs, nous utilisons des ordinateurs (ou des téléphones intelligents, soit de petits ordinateurs) pour faire ces appels, mais aussi toutes les autres activités rendues possibles par les ordinateurs et les moyens de communication. Que diraient ces ingénieurs d’avant-garde de Bell Labs s’ils savaient que les appareils utilisés aujourd’hui pour les appels vidéo nous servaient aussi d’outil de travail, de console de jeux, de source de nouvelles et plus encore? Ils seraient sans doute, espérons-le, bien heureux que leur vision du futur (où les appels vidéo sont omniprésents) se soit réalisée. Nous n’y sommes tout simplement pas parvenus de la manière qu’ils avaient envisagée.
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